Introduction
Quel est le point commun entre un sans-abri et un chef d’Etat ? Entre un intellectuel de haut-vol et un jeune homme qui manque d’être recalé par ses professeurs tant il peine dans ses études ? Entre un homme qui part vivre seul au désert et une mère de famille nombreuse chef d’entreprise ? Entre une jeune femme qui affirme n’avoir rien refusé au bon Dieu depuis l’âge de 3 ans et un meurtrier, condamné à mort, qui se tourne vers le Christ pendant son agonie ? Entre une fillette de 9 ans qui meurt seule sur un lit d’hôpital à des centaines de kilomètres de sa famille et un vieillard dont les médias du monde entier suivent l’agonie ?
Entre Benoît-Joseph Labre et Louis IX, Thomas d’Aquin et le curé d’Ars, Antoine le père du monachisme et Zélie Martin, entre Thérèse de l’Enfant-Jésus et le bon larron, Jacinthe de Fatima et Jean-Paul II, le point commun, c’est la sainteté.
La seule observation de la diversité des ces tempéraments, de ces états de vie, de ces parcours, nous montre que la sainteté concerne absolument tout le monde. Pourquoi, comment, c’est ce que nous allons essayer d’approfondir ce matin, en nous arrêtant sur la notion de vocation universelle à la sainteté.
Dans un premier temps, nous tenterons de comprendre ce qu’est la vocation universelle à la sainteté.
Dans un deuxième temps, nous verrons comment désirer la sainteté.
Et enfin, nous chercherons comment grandir dans la sainteté.
Comprendre la vocation universelle à la sainteté
Commençons par essayer de comprendre ce que signifie « vocation universelle à la sainteté ».
Vocation
Quand on entend le terme de « vocation », on pense « vocation à la vie consacrée », comme prêtre, religieux, religieuse. Mais la prêtrise ou la vie religieuse sont des chemins, tout comme le mariage, vers un but unique, et c’est ce but qui va nous intéresser maintenant. C’est-à-dire, quelle est la vocation première de tout homme ? A quoi, en tant qu’homme, suis-je appelé ?
Nous chrétiens, croyons fermement que l’existence de l’homme n’est pas un produit du hasard mais le chef d’œuvre de la Création. L’homme a été créé par Dieu.
Pour bien comprendre ce qui se joue, on peut partir de la première épître de saint Jean : « Voyez quel amour le Père nous donne puisque nous sommes appelés, et nous sommes réellement, fils de Dieu. » (I Jn III, 1)
Un père n’engendre pas un enfant comme un artisan fabrique un objet : il ne produit pas quelque chose d’extérieur et étranger à lui, il communique sa vie à un être qui lui est semblable. Or saint Jean insiste sur le caractère réel, et non métaphorique, de cette filiation. En disant que Dieu est notre père, nous affirmons que « la nature divine nous est réellement communiquée ». (Jean Daujat, L’ordre social chrétien)
Mais nous ne sommes pas Dieu, et notre nature humaine ne comporte pas en elle-même la vie divine. « Donc (la) communication qui nous est faite de la nature divine elle-même est de la part de Dieu un pur don, un pur cadeau (…) et c’est justement là le sens du mot grâce. » (ibidem)
On peut dire qu’ « il y a en nous quelque chose qui dépasse infiniment notre nature humaine et toutes ses capacités et possibilités, quelque chose de ‘surnaturel’ ».
« Nous découvrons pourquoi Dieu nous a créés (par un amour qui va jusqu’à Se donner Lui-même à nous) et en conséquence quel est le but de notre vie : nous n’avons pas été créés pour un bonheur humain limité à notre taille d’homme, mais pour posséder la Joie absolue, infinie et parfaite qui est Dieu Lui-même. » (ibidem)
Comprendre la cause de notre existence nous révèle en même temps sa signification, l’appel qu’elle contient intrinsèquement, autrement dit sa « vocation ».
Saint Augustin résume cela dans une très belle formule : « Tu nous as faits pour Toi et notre cœur est sans repos tant qu’il ne se repose en Toi » (Confessions I, 1).
Et c’est bien l’expérience que nous faisons tous. Les biens terrestres, matériels ou immatériels (l’aisance financière, la réussite professionnelle, l’amitié, les relations amoureuses, la paternité ou la maternité, la joie de la connaissance intellectuelle…) que nous pouvons posséder ne nous satisfont pas de manière complète. Notre désir est infini, les biens d’ici-bas sont tous finis. Nous nous sentons toujours appelés au-delà, à un Bien suprême et ultime.
Le Catéchisme de l’Eglise catholique nous dit que « le désir de Dieu est inscrit dans le cœur de l’homme, car l’homme est créé par Dieu et pour Dieu ; Dieu ne cesse d’attirer l’homme vers Lui, et ce n’est qu’en Dieu que l’homme trouvera la vérité et le bonheur qu’il ne cesse de chercher. » (§ 27)
Sainteté
Une fois posé que l’homme, créé par Dieu par amour, a une vocation surnaturelle, autrement dit est fait pour Dieu, il faut chercher à comprendre plus précisément en quoi cela consiste. Ce qui revient à définir la notion de sainteté.
« Le but de notre vie n’est pas une perfection humaine qui serait le plein développement de notre nature humaine, ou « le plein épanouissement de la nature humaine », mais la perfection de fils de Dieu dans la pleine possession de Dieu Lui-même en toute son infinie perfection divine. C’est ce but que le Christ nous donne dans le Sermon sur la montagne : ‘Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait.’ » (Jean Daujat, L’ordre social chrétien)
C’est bien le mystère de Dieu, Dieu Père, Dieu qui s’incarne en Jésus Christ, qui nous éclaire sur notre vocation.
Le passage du Catéchisme de l’Eglise catholique qui traite de la sainteté s’appuie sur un passage de saint Paul dans l’épître aux Romains. « Avec tous ceux qui l’aiment, Dieu collabore en tout pour leur bien. (…) Ceux que d’avance Il a discernés, Il les a aussi prédestinés à reproduire l’image de son Fils pour qu’Il soit l’aîné d’une multitude de frères. Ceux qu’Il a prédestinés, Il les a aussi appelés. Ceux qu’Il a appelés, Il les a aussi justifiés. Ceux qu’Il a justifiés, Il les a aussi glorifiés. » (Rm 8, 28-30)
Avec ces deux références, au Sermon sur la montagne et au Christ comme frère et modèle, nous comprenons où est notre bien ultime, notre bonheur ou « béatitude ». « Le Christ manifeste pleinement l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation ». (§ 1710. Gaudium et Spes 22 §1)
En vivant unis au Christ, en nous appliquant à l’imiter tel qu’il se présente dans les Béatitudes (« pauvre en esprit », « doux », « cœur pur », « artisan de paix »….), nous sommes associés, dans l’espérance, à sa Résurrection et à sa gloire, à la pleine participation à la vie divine. « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne dieu. » (Saint Irénée) Au passage, on voit bien que les items des Béatitudes (« ceux qui pleurent », « ceux qui ont faim et soif de justice », « ceux qui sont persécutés pour la justice ») n’ont rien à voir avec le développement personnel, avec la réussite humaine et mondaine ! « Les béatitudes nous enseignent la fin ultime à laquelle Dieu nous appelle : le Royaume, la vision de Dieu, la participation à la nature divine, la filiation, le repos en Dieu » résume le Catéchisme. (§ 1726)
Universalité
Nous avons parlé de vocation, de sainteté, reste l’universalité (« vocation universelle à la sainteté »).
Dans ce que nous avons dit, il est clair que la vocation à la sainteté découle de notre nature humaine tout simplement. Mais il est quand même nécessaire d’insister. En effet, nous avons parfois une image fausse, et peut-être confortable, des saints comme d’un petit club, d’une petite élite. Des personnes qui ont reçu des dons exceptionnels (l’intelligence comme saint Augustin ou saint Thomas d’Aquin ; le charisme comme saint Paul ou sainte Thérèse d’Avila…), ou encore des personnes qui ont choisi la vie religieuse, passent des heures en prière ou s’infligent des mortifications très austères. Mais cette façon de voir est finalement très humaine. Il n’existe pas de chrétiens de première ou de deuxième catégorie. La sainteté ne consiste pas en une série d’exploits, accessibles uniquement à des champions.
Saint François de Sales, au XVIIe siècle, a beaucoup insisté sur ce point. Dans son Introduction à la vie dévote, il commence par un parallèle entre la création du monde végétal et la création de l’humanité.
« Lorsque Dieu créa le monde, il ordonna aux plantes de porter des fruits, chacune selon son genre. Ainsi demande-t-il aux chrétiens, qui sont comme les plantes vivantes de son Eglise, de produire des fruits spirituels, mais chacun selon sa condition sociale et son état de vie. »
Il montre bien qu’on ne doit pas opposer le temporel et le spirituel, comme s’il y avait d’un côté, des gens voués aux occupations spirituelles « par profession » entre guillemets, et d’autres condamnés, parce que laïcs, à n’avoir que des objectifs et des activités temporels. La sainteté traverse et transcende ces catégories.
« La vie spirituelle ne gâte rien quand elle est authentique. Au contraire, elle mène tout à sa perfection. Si elle devait empêcher quelqu’un d’honorer les justes devoirs de son état, c’est sans aucun doute qu’elle serait fausse.
C’est non seulement une erreur, mais c’est une hérésie, que de bannir la dévotion de la compagnie des soldats, de la boutique des artisans, de la cour des princes, du foyer des époux. Il est vrai (…) qu’une vie purement contemplative, monastique ou religieuse, ne peut être menée dans ces conditions. Mais il existe bien d’autres formes de dévotion, qui sont parfaitement capables de mener à la perfection ceux qui vivent dans ce monde. »
Le concile Vatican II par la suite, et dans cette tradition, a fortement réaffirmé l’universalité de la vocation à la sainteté. « L’appel à la plénitude de la vie chrétienne et à la perfection de la charité s’adresse à tous ceux qui croient au Christ, quels que soient leur rang et leur état. » (Lumen gentium 40)
Pour résumer, « où que nous soyons, nous pouvons et devons aspirer à la vie parfaite » (Saint François de Sales, Introduction à la vie dévote). Ou, pour reprendre le thème végétal du début, « fleuris là où tu es planté » (Saint François de Sales) !
Désirer la sainteté
A présent que la vocation universelle à la sainteté est un peu mieux présente dans notre esprit, il est temps de passer à l’action ! Concrètement, comment se mettre en marche, comment désirer la sainteté ?
Nous évoquerons trois points : la recherche de Dieu, la conversion, le combat spirituel.
La recherche de Dieu
Pour commencer, la recherche de Dieu.
En visite en France, en 2008, Benoît XVI a prononcé aux Bernardins un discours très marquant sur ce thème : « quaerere Deum », chercher Dieu. Il a montré comment la démarche des moines, dans l’Antiquité tardive et le Haut Moyen-Age, est au fondement d’une culture, d’une civilisation, comment cette recherche les a enrichis, eux personnellement, et a enrichi l’humanité.
« Au milieu de la confusion des ces temps où rien ne semblait résister, les moines désiraient la chose la plus importante : trouver ce qui a de la valeur et demeure toujours, trouver la Vie elle-même. Ils étaient à la recherche de Dieu. Des choses secondaires, ils voulaient passer aux réalités essentielles, à ce qui, seul, est vraiment important et sûr. (…) Derrière le provisoire, ils cherchaient le définitif. »
Ce propos est tout à fait transposable. Cette recherche est véritablement existentielle : celle de tout homme qui se questionne sur le sens de sa vie, de la vie en général. Et qui arrive à la question de Dieu.
Or, nous dit saint Bernard : « chercher Dieu, c’est être cherché par Lui ». Dieu précède notre quête et vient à notre rencontre.
Pour autant, si nous sommes chrétiens, ne croyons pas trop vite avoir trouvé Dieu.
D’un être cher, nous savons plein de choses : les évènements importants de sa vie, ses goûts, ses passions, ses préoccupations du moment… Mais de Dieu ? Demandons-nous honnêtement si nous le connaissons vraiment.
Dieu nous a donné plusieurs canaux pour le connaître. Il y a des révélations personnelles foudroyantes, mais elles sont rares. De manière commune, ordinaire, il y a deux médiations. Les utilisons-nous ?
Il y a sa Parole, la Bible. La lisons-nous ? Au moins l’Evangile ? Lire un chapitre par jour, ou par semaine, ne semble pas démesuré. En comparaison, combien de temps passons-nous sur notre smartphone pour nous distraire ? Il y a aussi le magistère de l’Eglise, son enseignement. Où en sommes-nous de nos souvenirs de catéchisme ? Il existe plusieurs façons de rafraîchir ou d’approfondir ses connaissances : la lecture personnelle, des cours pour adultes, des contenus sur Internet, différents parcours pour reprendre les bases ou aller plus loin sur tel ou tel thème…
Bref, Dieu est-il une notion un peu floue, abstraite et lointaine, ou un être proche que je connais personnellement ?
La conversion et l’engagement de la volonté
Deuxième point, la conversion et l’engagement.
La vie de certains grands saints nous donne des exemples particulièrement intenses. Paul de Tarse, foudroyé par une grande lumière, tombe de cheval, fait demi-tour, au sens propre et au sens figuré, dans toute sa vie. Ignace de Loyola, un militaire fougueux dont la jambe est emportée par un boulet au siège de Pampelune, se pose la question radicale : « à quoi sert de gagner le monde si j’en viens à perdre mon âme ? » Thérèse d’Avila est une religieuse carmélite certes, mais très moyennement fervente, qui aime plaire, qui reçoit des amis au parloir pour discuter de sujets mondains. Un jour, au détour d’un couloir, elle voit un crucifix accroché au mur, et d’un coup, elle prend conscience de la gravité des enjeux. De l’amour infini de Dieu qui a donné sa vie pour elle. De la superficialité de sa vie à elle. C’est le début d’une aventure spirituelle, mystique, active, incroyable.
Ces exemples sont assez extrêmes, mais ils portent une leçon générale : à un moment, il faut prendre la vie, notre vie spirituelle, notre vie chrétienne, au sérieux. Peut-être de manière très forte à certains moments de notre parcours. Mais en réalité, chaque matin en démarrant la journée, de manière simple, en nous tournant résolument vers le Seigneur, en prenant le cap ! Il faut engager notre intelligence, notre volonté, pour orienter notre vie selon la bonne boussole.
Je ne sais pas si vous connaissez l’histoire des 3 ducats, naïve en apparence, profonde en réalité. On peut la lire dans Les Contes de la Vierge. A Toulouse, au Moyen Age, le roi fait son entrée dans la ville avec la reine qu’il vient d’épouser. Passe un pauvre homme condamné à mort. La reine est émue. Le roi, pour lui faire plaisir, demande sa grâce. Il faut 1000 ducats pour qu’il échappe à la pendaison. Le roi ouvre sa bourse, y trouve 800 ducats, les donne. La reine, de même, donne l’argent qu’elle a, les seigneurs de la cour de même, on arrive à 997 ducats. Ce n’est pas suffisant. Bouleversée, la reine implore qu’on fouille les poches du condamné… et l’on y trouve les 3 ducats manquants. « Au jour du Jugement dernier, rien ne nous sauvera, ni la miséricorde de Dieu, ni l’intercession de la Vierge, ni les mérites des saints, si nous n’avons sur nous trois ducats de bonne volonté ».
Dieu respecte notre liberté, il ne nous force jamais. Saint Augustin résume : « Dieu qui t’a créé sans toi ne te sauvera pas sans toi ». Dieu ne nous impose pas la sainteté, il faut la désirer, nous engager.
Le détachement et le combat spirituel
Troisième point pour désirer la sainteté : le détachement et le combat spirituel.
Nous avons réécouté tout à l’heure la parabole du semeur. Elle parle de la Parole de Dieu, mais plus largement, de la grâce de Dieu. Dieu donne en abondance, néanmoins sommes-nous disposés à recevoir ses dons ?
Jésus a pris le temps d’expliquer point par point cette parabole. Ce n’est pas le cas pour chaque parabole, et cela nous indique combien ce thème est important. Nous devons nous interroger en vérité sur les différentes attitudes décrites et décryptées par Jésus.
Le terrain ensemencé au bord du chemin, celui qui reçoit sans comprendre : voilà qui rejoint les points précédents. Quelle intelligence de la Foi avons-nous ? Et prenons-nous au sérieux notre vie chrétienne ?
Le sol pierreux, qui manque de racines, qui abandonne dans les épreuves. Quelle Espérance avons-nous ? Voyons-nous plus loin que nos difficultés personnelles ? Sommes-nous fermement ancrés dans les promesses du Christ ?
Le sol plein de ronces, étouffé par le souci du monde et la séduction de la richesse : quel Amour avons-nous pour Dieu ? Est-il premier dans notre vie ? Ou passe-t-il après notre confort, notre plaisir, notre ambition ? Rappelons-nous cette phrase de Jésus : « là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur » (Mt 6,21).
Assurément, il n’est pas facile d’être de la bonne terre pour le Semeur !
Cela demande un rude travail : enlever les pierres, enlever les ronces, entretenir le champ… C’est ce qu’on appelle le « combat spirituel ».
Jésus nous a prévenus : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, qu’il se charge de sa croix et qu’il me suive ». (Mt 16,24)
Le Catéchisme le rappelle : « Le chemin de la perfection passe par la Croix. Il n’y a pas de sainteté sans renoncement et sans combat spirituel. » (§ 2015) Concrètement, cela passe par des tas de petits combats quotidiens : renoncer à sa grasse matinée pour assister à la messe, retenir une parole désagréable ou critique, prendre le temps d’écouter une personne pénible trop contente de trouver enfin une oreille compatissante, se gêner un peu pour rendre un service… Chacun peut s’examiner et détecter un point d’effort pour commencer, puis un autre, puis un autre… et ainsi de suite. C’est par de petites escarmouches qu’on s’aguerrit pour les grandes batailles (les choix décisifs de nos vies), et au final, qu’on gagne la guerre !
Grandir dans la sainteté
Nous avons un peu esquissé la mise en route sur le chemin de la sainteté, conformément à notre vocation ; voyons pour terminer comment y grandir et progresser. Là encore, nous aborderons trois aspects : la prière, les sacrements, la confiance.
La prière
Premier aspect, la prière. Il est profondément lié à ce que nous avons déjà posé sur la recherche et la connaissance de Dieu.
Nous avons souligné la nécessité de connaître Dieu. Or, Dieu est une personne, non un objet. Pour connaître un objet, on l’étudie, on le manipule, on reste extérieur à lui. Pour connaître une personne, on lui parle, on partage des idées, des émotions avec elle, bref, on entre en relation avec elle. La prière est précisément ce dialogue, cet échange qui nous engage.
L’objectif ici n’est pas de disserter sur la prière mais de l’envisager de manière pratique. De comprendre qu’on ne peut pas être chrétien si on ne prie pas, qu’on ne peut pas avoir de vie spirituelle sans prière.
« La prière est comme la respiration de la vie chrétienne », nous dit saint Jean-Paul II. Si on ne respire pas, on meurt !
Je voudrais juste vous indiquer quelques phrases de saints qui peuvent nous aider à mesurer l’importance de la prière et à lui donner la place qu’elle mérite dans notre vie.
« Ce qui importe avant tout, c’est d’entrer en nous-mêmes pour y rester seul à seul avec Dieu. » (Sainte Thérèse d’Avila)
« Ne te fatigue pas pour des choses qui engendrent de l’empressement, des troubles, de l’affliction. Une seule chose est nécessaire : élever l’esprit et aimer Dieu. » (Saint padre Pio)
« La prière est une douce amitié, une familiarité étonnante… C’est un doux entretien d’un enfant avec son Père. » (Saint Jean-Marie Vianney)
« Plus nous recevons dans le silence de la prière, plus nous donnerons dans la vie active. » (Sainte mère Teresa)
Alors, comment prier ?
En définissant un moment de la journée, tous les jours le même si possible, pas forcément long. Et s’y tenir fidèlement. Un quart d’heure par jour, inscrit dans l’emploi du temps, est-ce insurmontable ? Encore une fois, quelle durée consacrons-nous à regarder les réseaux sociaux, des vidéos diverses, des fils d’actualité… ?
Il y a mille manières de prier : des formes déjà données qui offrent un cadre (les Psaumes, le chapelet, la prière des Heures…), des petits guides, ou la spontanéité du cœur…
Retenons bien que « prier ne consiste pas à beaucoup penser mais à beaucoup aimer » (sainte Thérèse d’Avila) !
Les sacrements
Deuxième aspect pour grandir en sainteté : les sacrements.
Il est profondément lié à ce que nous avons dit de notre filiation divine et de la grâce de Dieu.
Dieu nous communique sa nature divine comme un cadeau, c’est sa « grâce ». Or, les sacrements sont les signes sensibles institués par le Christ pour nous donner la grâce. Ainsi, plus nous voulons grandir dans la vie divine, autrement dit progresser en sainteté, plus nous devons recevoir les sacrements.
Certains sont reçus une fois pour toutes : le Baptême, la Confirmation. Mais deux particulièrement nous sont offerts comme carburant régulier pour notre vie chrétienne quotidienne : le sacrement de pénitence et l’Eucharistie. Si nous les recevons trop peu souvent, ou dans de mauvaises dispositions (comme dans la parabole du Semeur), nous risquons la dénutrition, la panne sèche ! Depuis quand ne me suis-je pas confessé ? Sachant que l’Eglise recommande de le faire une fois par mois environ. Ai-je conscience que je reçois le corps du Christ réellement, et non pas symboliquement, présent dans l’hostie ?
Pour vivre unis au Christ, pour avoir la force de le suivre, nous avons absolument besoin des sacrements. Et le plus grand, « l’autoroute vers le Ciel », selon la formule du Bienheureux Carlo Acutis, c’est l’Eucharistie, puisqu’il nous donne Dieu lui-même directement, et dans notre corps.
« La foi », explique Benoît XVI, « nous dit que le pain que nous rompons est Communion au Corps du Christ, la coupe d’action de grâces que nous bénissons est communion au Sang du Christ. » « La messe est le sacrifice d’action de grâce par excellence, celui qui nous permet d’unir notre propre action de grâce à celle du Sauveur, le Fils éternel du Père. » « La messe nous invite à discerner ce qui, en nous, obéit à l’Esprit de Dieu et ce qui, en nous, reste à l’écoute de l’esprit du mal. Dans la messe, nous ne voulons appartenir qu’au Christ. » « Chaque fois qu’une messe est célébrée, chaque fois que le Christ se rend sacramentellement présent dans son Eglise, c’est l’œuvre de notre salut qui s’accomplit. »
(Homélie du 13 septembre 2008, esplanade des Invalides)
La confiance en Dieu
Ces paroles qui rappellent fortement la valeur infinie de l’Eucharistie nous amènent logiquement au troisième et dernier aspect : la confiance en Dieu. En effet, qui est saint ? Dieu ! Et qui sanctifie ? Dieu !
Nous avons détaillé tout ce qui nous appartient pour répondre à l’appel de Dieu, à notre vocation : le chercher, le connaître, le désirer, nous engager à imiter le Christ, prier, recevoir les sacrements… mais tout cela en tant que tel ne nous sanctifie pas. Cela nous dispose à laisser Dieu agir en nous pour nous unir à lui, c’est à dire nous sanctifier.
N’est-ce pas là tout l’enjeu de l’épisode de l’Annonciation ?
Le mot clé de l’histoire de l’Incarnation, c’est le « fiat » de la Sainte Vierge, cette simple parole d’acceptation de l’action divine en elle : « qu’il me soit fait selon ce qui m’a été dit ». Par sa docilité à la volonté de Dieu, Marie accueille dans sa vie, dans sa chair, son Sauveur.
Jésus nous a dit : « Sans moi, vous ne pouvez rien faire ». (Jn 15,5) Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus l’avait bien compris. Le témoignage de sa vie nous éclaire sur le grand paradoxe de la sainteté : à la fois celle-ci requiert absolument notre engagement, nos efforts, nos sacrifices même, mais en vérité, cela n’a de sens et de valeur que parce que l’amour de Dieu nous précède, nous enveloppe et nous porte. Notre sainteté est avant tout l’œuvre de Dieu en nous.
« Vous le savez, ma mère, j’ai toujours désiré être une sainte ; mais hélas ! J’ai toujours constaté, lorsque je me suis comparée aux saints, qu’il y a entre eux et moi la même différence qui existe entre une montagne dont le sommet se perd dans les cieux et le grain de sable obscur foulé sous le pied des passants ; au lieu de me décourager, je me suis dit : le bon Dieu ne saurait inspirer de désirs irréalisables ; je puis donc, malgré ma petitesse, aspirer à la sainteté. Me grandir, c’est impossible ; je dois donc me supporter telle que je suis avec toutes mes imperfections. Mais je veux chercher le moyen d’aller au Ciel par une petite voie bien droite, bien courte. (…) Moi, je voudrais trouver un ascenseur pour m’élever jusqu’à Jésus, car je suis trop petite pour monter le rude escalier de la perfection. (…) L’ascenseur qui doit m’élever jusqu’au Ciel, ce sont vos bras, ô Jésus. Pour cela, je n’ai pas besoin de me grandir ; au contraire, il faut que je reste petite. Que je le devienne de plus en plus. » (Histoire d’une âme)
Ainsi, « ce n’est pas par la grandeur de nos actions que nous plaisons à Dieu mais par l’amour avec lequel nous les faisons. » (Saint François de Sales)
Conclusion
Pour terminer brièvement, je vous propose ces quelques mots de sainte Thérèse, qui pourront nourrir notre marche, et notre vie : « Je désire être sainte et je Vous demande, ô mon Dieu, d’être Vous-même ma sainteté » !